Il y a vingt-six ans, George W. Hunt, S.J., alors rédacteur en chef d’America, écrivait que « O Holy Night » était l’un de ses préférés parmi les chants de Yuletide, ajoutant modestement : « Je l’ai chanté un nombre incalculable de fois à la chorale (l’ennuyeuse deuxième partie de ténor) ».
Nos bons souvenirs de « O Holy Night » sont étroitement associés aux paroles anglaises familières traduites de l’original français par le pasteur unitarien John Sullivan Dwight. Ancien directeur de l’école de la commune de Brook Farm, dans le Massachusetts, au XIXe siècle, Dwight a assisté à la conversion au catholicisme d’un certain nombre de ses confrères, dont Isaac Hecker – plus tard prêtre catholique romain et fondateur des Pères Paulistes, la première communauté religieuse de prêtres créée en Amérique du Nord.
« Ce serait peut-être une bonne chose de se débarrasser de cette pièce dont la popularité devient malsaine », écrivait un des premiers critiques.
La question de savoir si cette aura religieuse a influencé la traduction de Dwight en 1855 est discutable. Des légendes non documentées ont persisté autour de « O Holy Night », notamment que les combats de tranchées pendant la guerre franco-prussienne de 1870 (ou alternativement, la Première Guerre mondiale) ont temporairement cessé alors que les troupes françaises chantaient la chanson à leurs adversaires la veille de Noël.
Un exemple mieux documenté, bien que généralement négligé, du pouvoir nourricier de « O Holy Night » a été rapporté dans The Marine Corps Times en décembre 2004. À Fallujah, en Irak, pour transmettre un message d’amour de chez lui, le révérend Ron Camarda, prêtre catholique et major de la Réserve des Marines, a chanté « O Holy Night » au chevet d’un Marine américain mourant, blessé lors d’une mission militaire.
Les mots guérisseurs, pieux et inspirants de Dwight nous parlent, comme l’a réfléchi le père Hunt, de la lumière apportée par la naissance de Jésus. En 1885, les paroles de Dwight étaient devenues si acceptées que Hart Pease Danks, un chef de chœur et auteur de chansons dont on se souvient surtout pour la ballade larmoyante « Silver Threads Among the Gold », en a produit sa propre adaptation dans une version intitulée « O Night Divine. » En toute équité, le résultat ne pouvait pas être qualifié d’amélioration.
Les paroles de guérison, pieuses et inspirantes de l’hymne nous parlent de la lumière apportée par la naissance de Jésus.
Pour autant, les adaptations concurrentes de John Sullivan Dwight et de Danks partageaient la qualité d’être unilatéralement optimistes, à la différence de la chanson française originale, « Minuit, Chrétiens », parfois appelée « Cantique de Noël ».
« Minuit, Chrétiens » a commencé comme un poème français de Placide Cappeau, un marchand de vin et un gauchiste de Roquemaure, une petite ville du département du Gard dans le sud de la France. Éduqué par des instructeurs jésuites au Collège Royal d’Avignon, Cappeau a rédigé le texte complexe en 1843 à l’occasion de la restauration des vitraux de l’église locale de Roquemaure.
Son poème commence de manière didactique, comme s’il faisait la leçon à une foule : « Minuit, chrétiens, est l’heure solennelle où le Dieu humain est descendu jusqu’à nous, pour effacer le péché originel et cesser la colère de son Père. » Cappeau s’adresse aux « puissants » de son temps, « orgueilleux de grandeur », leur ordonnant de s’humilier devant Dieu. Rien de ce discours ne survit dans les couplets suaves du « O Holy Night » que nous chantons aujourd’hui.
Après avoir ordonné aux auditeurs de s’agenouiller, « Minuit, Chrétiens » leur demande ensuite de se lever, d’une manière similaire à l’hymne gauchiste « L’Internationale » qui suivra.
Ayant ordonné aux auditeurs de s’agenouiller, « Minuit, Chrétiens » leur ordonne ensuite de se lever, d’une manière similaire à l’hymne gauchiste ultérieur « L’Internationale » (1871), qui commence par « Arise ye damned of the earth ». Dire aux opprimés de se lever est courant dans les hymnes, mais « L’Internationale », écrite par Eugène Pottier, peut avoir partiellement reflété le poème de Placide Cappeau d’une génération précédente.
Adolphe Adam, compositeur d’opéras profanes, a mis en musique « Minuit, Chrétiens » en 1843 ou 1847, selon deux témoignages contemporains divergents. Mais de nombreux éléments de « Minuit, Chrétiens » n’ont pas été bien accueillis par les autorités ecclésiastiques. Peu après sa composition, la Révolution de 1848 éclate en France, et Adam inquiète certains observateurs en qualifiant « O Holy Night » de « Marseillaise religieuse », en référence au chant de 1792 adopté comme hymne national gaulois.
Les publications officielles sur la musique catholique commencent à s’inquiéter de la popularité de « Minuit, Chrétiens », qualifiant son parolier d’ivrogne socialiste. Une rumeur infondée a également circulé selon laquelle Adolphe Adam était juif, une fausseté qui est répétée jusqu’à ce jour dans certains écrits anglophones. En 1930, Vincent d’Indy, compositeur catholique royaliste réputé, écrit un texte faisant l’éloge de Richard Wagner et accusant les « compositeurs juifs », incluant par erreur le nom d’Adam dans la liste, de n’être intéressés que par le gain financier.
Dès 1864, la Revue de Musique Sacrée, une revue distinguée axée sur la musique liturgique catholique, opine :
L’œuvre d’Adolphe Adam a été exécutée dans de nombreuses églises pendant les messes de minuit…. il serait peut-être bon de se défaire de ce morceau dont la popularité devient malsaine. Il est chanté dans la rue, dans les réunions sociales et dans les bars avec des spectacles vivants. Il devient avili et dégénéré. Le mieux serait de la laisser suivre son propre chemin, loin des maisons de religion, qui peuvent très bien s’en passer.
D’autres critiques de l’église sur la chanson elle-même portaient sur son ton militant et sa théologie douteuse. Certains prêtres ont demandé à quoi faisait référence le texte « Et de son Père arrêter le courroux » (« to cease the wrath of his Father »). Minuit, Chrétiens » décrivait-il une divinité vengeresse de l’Ancien Testament en contraste avec Jésus ? Peut-être à cause de ces controverses, « Minuit, Chrétiens » était rarement inclus dans les recueils de cantiques catholiques.
La critique catholique française s’est poursuivie après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le compositeur liturgique et musicologue Auguste Sérieyx a fustigé les chorales et les organistes qui « font résonner nos églises avec des inspirations aussi écervelées » que « Minuit, Chrétiens », fustigeant également les prêtres qui « les tolèrent ou les encouragent. »
La critique catholique française se poursuit après la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’un compositeur fustige les chorales qui « font résonner nos églises avec des inspirations aussi saugrenues. »
Le Dictionnaire du Foyer Catholique (publié à Paris en 1956) déclare que la chanson « a été expurgée de nombreux diocèses en raison de l’aspect emphatique de ses paroles autant que de la musique elle-même, et du contraste qu’elles offrent avec la liturgie des fêtes, si belle et si grandiose dans sa simplicité. »
Pourtant, malgré ces objections et d’autres décriant la musique de « Minuit, Chrétiens » comme facile et banale, sa renommée internationale a continué de croître.
L’inquiétude ecclésiastique concernant la popularité et le contenu de « Minuit, Chrétiens » a été reproduite lorsqu’elle a été importée au Canada en 1858 par Ernest Gagnon, un folkloriste, compositeur et organiste. Gagnon avait assisté l’année précédente à une messe de minuit à l’église Saint-Roch de Paris, où une voix aiguë avait chanté « Minuit, Chrétiens ». Après que Gagnon ait popularisé la chanson au Canada, une tradition s’est instaurée selon laquelle les paroisses choisissaient un soliste pour l’interprétation de « Minuit, Chrétiens » à la messe de minuit parmi les notables locaux, comme un honneur spécial.
La chanson, écrite à l’origine par Adam pour être interprétée par une soprano provinciale à la retraite qui avait créé l’un de ses opéras moins réussis à Paris, sera de même interprétée pour la première fois au Canada par une chanteuse soprano. Ce n’est que plus tard que la chanson deviendra le domaine des ténors et des barytons. Mais Adam, en tant que compositeur d’opéras virtuoses, a inclus quelques notes aiguës exposées qui défient même les chanteurs professionnels, et encore moins les amateurs bien intentionnés. Par conséquent, les congrégations au Canada avaient l’habitude d’attendre avec trépidation les phrases culminantes du chant pour voir si les notes seraient chantées dièse ou bémol.
Rien n’indique qu’Adolphe Adam s’attendait à ce qu’on se souvienne de lui principalement pour « Minuit, Chrétiens », aux côtés du ballet « Giselle ». Ses mémoires de 1857 n’en font même pas mention. Pourtant, pour des générations d’auditeurs de « O Holy Night » la veille de Noël et au-delà, il reste de manière indélébile le compositeur de cette seule chanson immortelle et inspirante.
Plus d’écoute
La chanson originale, « Minuit, Chrétiens », en français :
- Interprétée par Georges Thill
- Interprétée par Raoul Jobin
« O Holy Night » en anglais :
- Canterbury Cathedral Choir
- King’s College Choir
- Birgit Nilsson
- Celine Dion
En traduction suédoise :
- Jussi Björling
Et une version du pianiste de la Nouvelle-Orléans James Booker.