Un no man’s land transformé en réserve naturelle ?
Cette carte des dépôts radioactifs (mesurés par l’activité du césium-137 dans le sol), à proximité immédiate du réacteur endommagé de Tchernobyl, montre des contaminations très élevées mais très inégales. L’activité dépasse 3700 kBq par mètre carré près du réacteur et de la ville de Pripyat (40 fois le débit de dose de la radioactivité naturelle). Ces contaminations ont conduit, le 27 avril 1986, à l’évacuation par les autorités soviétiques de 116 000 personnes vivant dans un cercle de 30 km de rayon.
UNSCEAR-2000
Le 27 avril 1986, un jour après l’explosion, les autorités soviétiques ont procédé à l’évacuation de 116 000 habitants vivant dans un rayon de 30 km autour de la centrale endommagée. La zone a été évacuée en urgence dans les 30 heures et déclarée interdite. La zone d’exclusion est depuis restée en grande partie inhabitée, même si, bravant les interdictions, environ 500 personnes, généralement âgées, les « samosjoly » sont revenues y vivre, préférant ne pas quitter les villages et les milieux auxquels ils étaient attachés.
Si l’on ajoute à ces 116 000 habitants, les personnes extérieures à la zone qui ont également été évacuées par la suite, c’est un total de quelque 350 000 personnes qui ont dû subir le traumatisme du déracinement imposé du jour au lendemain et de la relocalisation.
Au centre de la zone d’exclusion, le réacteur abandonné et la salle de contrôle. Mike Durst, physicien nucléaire à l’AIEA : « A l’intérieur, on se sent comme dans une tombe. Froid, humide et sombre. Des tuyaux ont éclaté, il y a beaucoup de débris. Vous parcourez une série de labyrinthes pour atteindre la salle de contrôle où les opérateurs contrôlaient le réacteur. Le niveau de radiation n’est pas trop élevé, mais si vous descendez en dessous, c’est mortel »
NGM (La longue ombre de Tchernobyl)
Les anciens résidents de la zone lèvent leur verre à la mémoire de leurs morts. Les autorités autorisent les évacués à revenir une fois par an, au printemps, pour se recueillir sur les tombes et honorer la mémoire de leurs parents et ancêtres disparus lors d’une « Journée des parents ». A la mélancolie du souvenir, s’ajoute une autre dimension ; les familles commémorent non seulement leurs familles mais aussi un mode de vie perdu.
NGM / Gerd Ludwig
Au centre de la zone d’exclusion, on peut voir l’unité endommagée recouverte de son sarcophage, les trois autres unités qui ont fonctionné jusqu’en 2000, et à environ deux kilomètres, la ville fantôme de Pripyat dont beaucoup des 50 000 habitants étaient employés à la centrale.
L’homme étant parti, un royaume animal a pris sa place. Ce vaste no man’s land de près de 3000 km2 est devenu, en vingt ans, une réserve foisonnante de vie et riche d’espèces désormais dominantes. Elans, cerfs, sangliers se sont multipliés, et après eux les loups et des centaines d’espèces d’oiseaux. Des lynx ou des hiboux que l’on n’avait pas vus depuis des décennies sont réapparus. Les empreintes d’un ours ont même été identifiées, un animal qui n’avait pas mis les pieds dans cette partie de l’Ukraine depuis des siècles.
Selon un radioécologue ukrainien, Sergey Gaschak, interrogé par la BBC, les animaux occupent leurs territoires indépendamment des radiations qu’ils ne ressentent pas : « Il y a peut-être du plutonium dans la région, mais il n’y a pas d’herbicide ou de pesticide, pas d’industrie, pas de trafic. Les marais ne sont pas asséchés… De nombreux oiseaux nichent dans le sarcophage, des étourneaux, des pigeons, des hirondelles, des rouges-queues. J’ai vu des nids et j’ai trouvé des œufs ».
Cependant, ce paradis paradoxal n’était pas si idyllique lorsque les niveaux de radiation étaient beaucoup plus élevés durant les premières semaines après l’accident. Dans la forêt rouge, proche du réacteur, 4 km2 de pins sont devenus rouges et bruns tout simplement morts. Dans les endroits les plus radioactifs, les animaux sont morts ou ont cessé de se reproduire.
Depuis, les radioéléments les plus actifs mais à vie courte ont disparu et la radioactivité a beaucoup diminué. La nature et les animaux se sont adaptés à ces conditions plus douces. Lorsqu’on les observe, les mutations de l’ADN semblent ne pas avoir affecté la physiologie de l’animal ou sa capacité à se reproduire.
La zone d’exclusion regorge d’animaux sauvages. La présence humaine étant interdite, la zone, qui s’étend sur l’Ukraine et la Biélorussie, est devenue un sanctuaire pour les animaux. Elle est utilisée pour les programmes de réinstallation d’espèces menacées, comme le cheval sauvage de Mongolie, les chevaux de Przewalski.
IAEA / Kirstie Hansen (Un journal de Tchernobyl)
Les grands animaux comme les cerfs ou les élans, qui parcourent de longues distances, entrent et sortent des terrains fortement contaminés sans y rester longtemps, sont moins exposés que les petits animaux qui peuvent être confinés dans ces lieux à vie. Mais certains signes montrent que ces petites créatures s’adaptent aux circonstances. Sergey Gaschak a constaté que les souris vivant parmi les pins rabougris et déformés de la « forêt rouge » vivaient aussi longtemps que celles vivant sur un terrain plus propre, mais que ces dernières résistaient avec difficultés à une transplantation dans l’environnement contaminé de cette forêt.
Le parc de loisirs de Prypiat aurait dû ouvrir le 1er mai 1986, mais la centrale a explosé cinq jours avant. Aujourd’hui, il offre aux touristes une attraction d’un nouveau type.
Gerd Ludwig : National Geographic Magazin/
En 2014, après de nombreuses années et grâce à de nombreux efforts de décontamination, un article intéressant du National Geographic Magazine fait état d’un tourisme nucléaire précoce. Après la faune qui a reconquis la zone quasi inhabitée, des touristes d’un nouveau genre débarquent. Ils se prennent en photo dans le parc d’attractions de la ville fantôme de Pripyat, ne portant aucun masque mais évitant de ramasser des champignons
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