Angiosarcome du cuir chevelu et du visage : Une tumeur difficile à traiter

Introduction

L’angiosarcome est une tumeur maligne rare et agressive d’origine vasculaire. Il représente 1 à 2% des sarcomes des tissus mous et est plus fréquent chez les hommes âgés. Toutes les régions du corps peuvent être touchées, mais le plus souvent le cuir chevelu et le visage. L’angiosarcome peut apparaître sporadiquement de-novo, après un traitement par radiothérapie ou après un lymphœdème chronique dans le cadre du syndrome de Stewart-Treves . Nous rapportons ici le cas d’un patient atteint d’un angiosarcome du cuir chevelu et du visage traité par radiothérapie de contact et chimiothérapie avec réponse locale et progression locale en zone non irradiée.

Observation

Un homme de 64 ans a consulté devant l’augmentation rapide de la taille d’une plaque centimétrique du cuir chevelu dans un placard érythémateux et violacé, descendant sur le front, le nez et les paupières Figure 1. L’examen histologique était en faveur d’un angiosarcome de haut grade exprimant le CD31. Le bilan d’extension complété par une IRM cérébrale et un scanner thoraco-abdomino-pelvien a montré l’absence de métastase à distance. Après une réunion de l’équipe multidisciplinaire, une chimiothérapie hebdomadaire à base de paclitaxel a été initiée, associée à une radiothérapie palliative par contact (150Kv) délivrée à une dose de 40 Gy sur la lésion frontale, la plus étendue et la plus épaisse. L’évolution a été marquée par une nette amélioration de la lésion irradiée qui est devenue dépigmentée et plate Figure 2. Une progression locale a été observée pour les autres lésions qui ont ensuite été irradiées Figure 3. Le patient a progressé localement en dehors des champs traités Figure 4. Trois mois plus tard, il a consulté pour une dyspnée et une détérioration de l’état général. L’actualisation de l’examen d’extension était en faveur de métastases hépatiques multiples et de la présence d’un pneumothorax qui a été drainé en urgence. Devant la dissémination métastatique et le mauvais état général, l’abstention thérapeutique a été retenue. Le patient est décédé 15 jours après avoir quitté l’hôpital.

Figure 1 : lésion initiale.

Figure 2 : Amélioration transitoire après traitement par chimiothérapie et radiothérapie.

Figure 3 : Progression dans la zone non irradiée.

Figure 1 : Rechute en dehors des zones traitées.

Commentaires

Les sarcomes cutanés sont rares, ne représentant que 5% des tumeurs malignes de la peau . Les angiosarcomes constituent la cinquième cause après le sarcome de Kaposi, le dermatofibrosarcome protubérant, l’histiocytofibrosarcome et le léiomyosarcome . Les sites de prédilection de l’angiosarcome cutané sont la tête et le cou, principalement le cuir chevelu qui est atteint dans près de 40% des cas .

Des symptômes hétérogènes, simulant parfois des lésions bénignes à type d’ecchymoses ou d’hémangiomes peuvent faire traîner le diagnostic et rendre toute résection difficile, étendue et mutilante. La plupart des angiosarcomes surviennent spontanément mais des transformations malignes de lésions vasculaires bénignes ont été décrites dans la littérature . Plusieurs facteurs de risque sont associés aux angiosarcomes. Le lymphoedème chronique connu sous le nom de syndrome de Stewart-Treves, survenant après une chirurgie, une radiothérapie ou dans le cadre de la maladie de Milroy est le plus fréquent. La radiothérapie constitue également un facteur de risque indépendant. De plus, l’exposition à des produits chimiques tels que l’arsenic, le chlorure de vinyle et le dioxyde de thorium augmente le risque de développer un angiosarcome.

Le rôle de l’immunosuppression dans la pathogenèse des angiosarcomes est indéterminé. Plusieurs cas consécutifs à une transplantation rénale ont été rapportés. Goedert et al. ont suggéré que, comme pour le sarcome de Kaposi, l’angiosarcome et le SIDA pourraient être associés. Bien que le rôle du virus de l’herpès humain 8 (HHV8) dans le sarcome de Kaposi soit prouvé, son implication dans la pathogenèse des angiosarcomes n’a pas été trouvée .

L’immunohistochimie joue un rôle important dans le diagnostic des angiosarcomes et surtout pour ceux qui sont indifférenciés. L’Ulex lectin et le CD31 sont des marqueurs de cellules endothéliales plus sensibles et spécifiques de l’angiosarcome cutané .

L’angiosarcome est une tumeur agressive, à dissémination cutanée étendue, rechutant localement et donnant des métastases précoces par voie sanguine et/ou lymphatique. Les métastases sont le plus souvent pulmonaires, osseuses, ganglionnaires et hépatiques. Le poumon est le site le plus fréquent et la principale cause de décès. Dans une série d’autopsie japonaise de 95 patients, des métastases pulmonaires ont été trouvées dans près de 70% des cas.

En outre, les tumeurs primaires situées au niveau du cuir chevelu avaient un taux plus fréquent de complications pulmonaires, type pneumonie, pneumothorax et hémothorax, que les autres localisations . Dans une étude plus récente portant sur 37 cas, qui se concentrait uniquement sur les angiosarcomes du cuir chevelu et du visage, des métastases pulmonaires sont apparues chez 77 % des patients .

Le pronostic des angiosarcomes cutanés du cuir chevelu et du visage reste sombre avec des taux de survie à 5 ans dans les séries anciennes de 10 à 15% . Des études plus récentes, bien que rétrospectives, rapportent des taux de survie à 5 ans de 38 à 54% grâce à l’amélioration des techniques de radiothérapie et de chimiothérapie Tableau 1. Par ailleurs, les patients de moins de 70 ans, plus enclins à tolérer une approche multimodale de leur traitement (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie), semblent avoir moins de récidive locale et une meilleure survie .

Tableau 1 : Taux de survie des angiosarcomes du cuir chevelu et de la face dans la littérature.
Auteur (année) Nombre de patients Modalités thérapeutiques OS (%) MST (mois)
Hodgkinson et al. (1979) 13 RT / S 15 NA
Holden et al. (1987) 72 RT / S 12 NA
Ohguri et al. (2005) † 20 RT / S / CT / rIL-2 NA 36,2
Guadagnolo et al. (2011) 70 RT / S / CT 43 41
Ogawa et al. (2012) 48 RT / S / CT / rIL-2 NA 13,4
Miki et al. (2013) 17 RT / S / CT / rIL-2 NA 26
Dettenborn et al. (2014) 80 RT / S / CT 54 64
Patel et al. (2015) 55 RT / S / CT 38 25,2
Abréviations : RT = Radiothérapie ; rIL-2 = Interleukine 2 recombinante ; S = Chirurgie;
CT = Chimiothérapie ; OS = Survie globale à 5 ans ; MST = Temps de survie médian ; NA= Non disponible.
† Dans cette étude, seuls les patients atteints d’angiosarcome du cuir chevelu ont été inclus.

Le traitement chirurgical reste la pierre angulaire du traitement même si l’obtention d’une exérèse chirurgicale complète est difficile devant l’étendue locale au niveau du cuir chevelu et du visage .

L’utilisation de la radiothérapie associée à la chirurgie permet un meilleur contrôle local de la maladie . Les doses recommandées semblent être de 70 Gy ou plus en cas de tumeur non opérée (maladie macroscopique) et de 60 Gy ou plus en cas de tumeur opérée (maladie microscopique). En effet, dans l’étude d’Ogawa et al, 4 patients sur 11 traités par radiothérapie avec une dose inférieure à 70 Gy ont rechuté dans le champ de traitement alors qu’aucun des 14 patients traités uniquement par radiothérapie avec une dose supérieure ou égale à 70 Gy n’a rechuté dans le champ de traitement. Concernant les patients traités par chirurgie et radiothérapie, 2 patients parmi les 6 traités avec une dose inférieure à 60 Gy ont rechuté dans le champ du traitement alors qu’aucun des patients parmi les 11 traités avec une dose supérieure ou égale à 60 Gy n’a rechuté dans le champ du traitement. Cependant, la récidive de ceux qui sont en dehors du champ de traitement constitue toujours un problème. Notre patient a été traité par radiothérapie palliative de contact (150Kv) et la réponse a été bonne mais transitoire à de faibles niveaux de dose de 40Gy. La maladie s’étendait de proche en proche sur l’ensemble des téguments du visage, rendant aléatoire sa couverture par les champs et les doses tolérables. L’utilisation de nouvelles techniques de radiothérapie, dont la tomothérapie, semble offrir des résultats prometteurs.

Plus récemment, la chimiothérapie à base de taxane et l’immunothérapie par interleukine 2 recombinante, ont été ajoutées à l’arsenal thérapeutique disponible . Isogai et al. ont rapporté un cas de rémission complète de métastases pulmonaires d’un angiosarcome du cuir chevelu traité par docétaxel. Le docétaxel et le paclitaxel sont des options efficaces dans le traitement des angiosarcomes cutanés métastatiques ou localement avancés notamment par leur effet anti-angiogénique . Dans l’étude de Fata et al, un taux de réponse de 89% par le paclitaxel pour les angiosarcomes du cuir chevelu ou du visage a été noté.

Pour autant, une approche non chirurgicale reste possible pour certains patients notamment dans les tumeurs localement avancées. Fujisawa et al. ont rapporté une meilleure survie globale à 5 ans pour les patients traités par taxane-radiothérapie par rapport à ceux traités par chirurgie et radiothérapie. Dans l’étude de Patel et al, 2 patients non opérés, recevant une chimiothérapie, respectivement paclitaxel-bevacizumab et docetaxel-gemcitabine, associée à une radiothérapie ont survécu plus de 3 ans. L’angiosarcome est dérivé des cellules endothéliales vasculaires et surexprime le VEGF et ses récepteurs . Les thérapies biologiques utilisant des inhibiteurs de tyrosine kinase ciblant le VEGFR (sorafenib et sunitinib) et l’anticorps monoclonal VEGF (bevacizumab) semblent offrir des résultats intéressants .

La rareté de cette pathologie rend les études de phase II/III difficiles à entreprendre et la meilleure séquence thérapeutique entre les différentes méthodes disponibles impliquant chirurgie, radiothérapie, immunothérapie et chimiothérapie, reste à définir.

Conclusion

L’angiosarcome du cuir chevelu et du visage est une pathologie rare. Son agressivité locale et sa dissémination métastatique (notamment au niveau pulmonaire) en font une tumeur de très mauvais pronostic. Le jeune âge, l’étendue des lésions et la qualité de l’exérèse chirurgicale sont les principaux facteurs pronostiques. Une approche thérapeutique multimodale semble offrir les meilleures chances de survie aux patients.

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